John Galliano ou l’art de l’attente
Alors que le sort de John Galliano se joue dans les prétoires et les médias, et que la marque qu’il représenta s’est vite débarrassée d’un porte-drapeau devenu boulet, revenons sur une caractéristique de son talent qu’aucun égarement ne lui enlèvera : son art de faire des défilés des histoires extraordinaires.
Rappelons-nous qu’un défilé ne dure que trente minutes. Pour que son effet soit « durable », qu’il marque les esprits, soigner la mise en bouche (le « pré-buzz » dira-t-on vulgairement aujourd’hui) prend tout son sens : le contenu transmis (ou suggéré) aux invités en amont stimule leur imagination, fait du défilé en lui-même une révélation et améliore sensiblement son impact, sa mémorisation.
Dès sa sortie d’école en Angleterre et jusqu’aux années Dior, Galliano a très vite conçu et orchestré l’attente autour de ses créations. Les invitations pour ses défilés sont devenues des pièces de collection, autant par leur inventivité que par leur qualité.
En voici quelques exemples empruntés au livre « Galliano », de Colin McDowell (éditions Assouline) :
– Faire du défilé un combat de boxe, annoncé par une affichette à l’ancienne
– Organiser une remise de prix au Collège pour jeune filles de John Galliano
– Placer chaque invité au coeur d’une intrigue romantique en lui livrant une rose attachée à un mystérieux parchemin dans un écrin de velours
– Transformer l’attente du défilé en enquête policière : c’est une pochette de pièces à conviction avec balle gros calibre qui parvient chez les invités…
Si vous rencontrez d’heureux possesseurs de ces invitations fétiches, interrogez-les et savourez leur émotion.
Combien d’événements, créés avec force budget, énergie et stress par les entreprises, devraient-ils s’inspirer de cette histoire.
Combien de cartons d’invitation miteux, issus en rush des studios graphiques, sont sortis des imprimeries pour finir dans la corbeille de l’assistante du directeur invité mais « malheureusement non disponible »… ?
Ne vaut-il pas mieux investir du temps, de l’attention et une part sérieuse de votre budget par invité pour lui proposer une « aventure », une part d’histoire, plutôt que sacrifier la qualité de l’invite pour rajouter 3 spots dans un show à 100 000 Euros dont personne ne se souviendra un an plus tard ?
Les occasions de marquer les esprits sont de moins en moins nombreuses dans un monde de plus en plus chargé de signes. Alors pour votre prochaine convention, votre future remise de prix, pensez à Galliano, non en nazillon éméché, mais en révolutionnaire de la mode, conteur de sa propre marque, convaincu que « derrière chaque romance se cache une tragédie ».